L'année 2011 a été celle des soulèvements dans le monde arabe. Des
milliers de personnes ont envahi les rues pour exiger le départ du
despote qui dirige leur pays.
Des centaines de milliers de personnes longtemps étouffées par la
terreur se sont levées à l'occasion du printemps arabe pour réclamer le
départ du despote à la tête de leur pays. Retour à la vitesse grand V
sur la valse des révolutions du monde arabe.
Mohamed Bouazizi, un marchand de fruits et de légumes âgé de 26 ans de
la ville tunisienne de Sidi Bouzid, s'immole par le feu le 17 décembre
2010 après la confiscation, pour une énième fois, de sa marchandise par
les forces de l'ordre. À travers le pays, des dizaines de milliers de
personnes exaspérées par l'injustice et l'arbitraire font éclater leur
rage contre le régime répressif de Zine el-Abidine Ben Ali, à la tête de
la Tunisie depuis plus de 23 ans. Dépassés, l'autocrate et sa femme,
Leïla Trabelsi, prennent le 14 janvier 2011 la poudre d'escampette.
C'est la «révolution du jasmin».
«La Tunisie jouit d'une certaine stabilité. Ce pays a fait des pas
énormes à mon avis dans l'espace de quelques mois seulement et est doté
aujourd'hui d'un gouvernement qui est jusqu'à un grand degré
représentatif», souligne le professeur au Collège militaire royal de
Kingston Houchang Hassan-Yari. «On peut parler de la Tunisie comme d'un
cas tout à fait à part», ajoute-t-il.
La révolution tunisienne fait naître une vague de soulèvements
populaires qui déferlera sur le monde arabe, abattant dans plusieurs
endroits le «mur de la peur» dressé entre le dirigeant et la population.
Des régimes tomberont, d'autres vacilleront.
Inspirés par les Tunisiens, les Égyptiens organisent leur premier «jour
de colère» le 25 janvier 2011. «Nous sommes tous des Khaled Saïd»,
scandent-ils en brandissant des images d'un jeune homme apparemment
battu à mort par les autorités six mois plus tôt à Alexandrie. Des
centaines de milliers de personnes réclameront le départ du chef d'État,
Hosni Moubarak, aux quatre coins du pays, dont sur la place Tahrir du
Caire, qui est aujourd'hui le symbole de la «révolution du Nil». Le raïs
multipliera les concessions. Rien n'y fait, le raïs n'est plus raïs.
Dix-huit jours auront suffi à le faire tomber.
«L'élite politique et l'élite politique émergente confondues n'ont pas
montré énormément de maturité politique. [...] Les militaires ne sont
pas prêts à perdre leurs privilèges, tandis que les jeunes qui ont fait
l'essentiel du réveil égyptien se trouvent marginalisés, maltraités»,
estime M. Hassan-Yari, alors que plusieurs craignent, une fois
l'euphorie retombée, que la révolution du Nil ne soit qu'une autre
révolution de palais.
Jusqu'à la mort
En Libye, drapé dans sa posture de «guide de la révolution jusqu'à la
fin des temps», Mouammar Kadhafi n'essaie pas d'amadouer ses opposants,
«des rats», par des promesses de réformes, contrairement à Ben Ali et à
Moubarak. L'insurrection tourne au conflit armé. Mal équipés,
désorganisés, les insurgés, reculant devant l'armée régulière, lancent
un appel à l'aide. L'OTAN y répond. Elle bombarde les forces
kadhafistes. Tripoli tombe le 23 août, mais Kadhafi reste introuvable.
Le «guide» sera finalement capturé, exhibé, lynché, puis exhibé de
nouveau, deux mois plus tard, dans sa ville natale, Syrte.
«Louis XIV disait: "L'État, c'est moi." Dans le cas de la Libye, l'État,
c'était vraiment Kadhafi. Pas sa famille. Il y a aujourd'hui un grand
besoin de créer des institutions, [bien que] la lutte pour le pouvoir ne
se soit pas stabilisée encore», souligne Houchang Hassan-Yari.
Pour le professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal
(UQAM) Rachad Antonius, la révolution libyenne «a profité surtout aux
pays de l'OTAN et aux monarchies pétrolières avant de profiter aux
Libyens». «Chacun de ces acteurs internationaux va s'assurer de
récupérer le mouvement en sa faveur. Mais, pour pouvoir le faire, il
faut que chacun ait des acteurs locaux dont les intérêts coïncident avec
les siens», affirme-t-il.
La contestation au Yémen n'a pas attendu le printemps arabe, mais son
souffle a enhardi les opposants à Ali Abdallah Saleh, à la tête du pays
depuis 18 ans. Ils manifestent par milliers pour exiger son départ.
Dans le monde arabe, les révolutions ont-elles profité à ceux qui les
ont faites? «Il est trop tôt pour le dire. Ce sont des processus à long
terme qui vont produire des résultats dans peut-être cinq ou dix ans»,
rétorque M. Antonius, avant d'ajouter: «Je pense, à court terme,
qu'elles ont profité surtout aux partis islamistes... à court terme.»
Nouveau rapport
Les révolutions du printemps arabe «remettent en question la façon même
de faire de la politique», selon Rachad Antonius. «C'est un autre
rapport entre les gouvernements et la société qui s'est négocié par ces
révoltes, souligne le spécialiste du monde arabe. C'est un refus de
l'autoritarisme. Les gens disent: "Quelles que soient vos raisons,
quelle que soit la justification nationaliste de votre gouvernement
autoritaire, on n'en veut plus".»
Pour Houchang Hassan-Yari, l'Iran a lancé la valse des révolutions du
printemps arabe en 1979. «Les revendications étaient extrêmement
similaires, c'est-à-dire la fin d'un régime politique répressif, ensuite
l'ouverture de l'espace politique, plus de liberté, plus de
participation populaire...»
Les révolutionnaires du printemps arabe doivent tirer les leçons de la
suite des choses en Iran, fait-il valoir. «Dans tous les pays arabes du
Moyen-Orient, la vaste majorité de la population est musulmane. Donc, il
ne faut pas s'attendre à ce que cette majorité-là tourne le dos aux
partis qui se présentent sous la bannière de l'islam et comme défenseurs
de la charia, même si ça ne plaît pas aux intellectuels, aux
fonctionnaires, aux technocrates, etc. La réalité est que, dans ces
pays-là, il y a un très grand taux d'analphabétisme et, surtout, une
très grande croyance dans la religion. [...] Les pays arabes se trouvent
aujourd'hui où se trouvait l'Iran tout de suite après sa révolution
islamique. Trente-deux ans plus tard, une majorité d'Iraniens serait en
faveur d'une séparation de la religion et de l'État.»
La contestation couve
Le souffle du printemps arabe n'a pas tout emporté sur son passage.
Quatre dirigeants ont été balayés. Poussés dans leurs derniers
retranchements, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte, Kadhafi en Libye
et Saleh au Yémen ont renoncé l'un après l'autre au pouvoir après
l'avoir conservé jalousement, souvent avec l'appui des grandes
puissances. Confronté à une contestation jamais vue depuis l'accession
au pouvoir de son père, Hafez, en 1970, le président de la Syrie, Bachar
al-Assad, reste pour sa part inflexible. Il tente par tous les moyens
de mater la rébellion, mais ni les 5000 morts recensés par l'ONU, ni le
pilonnage des chars d'assaut sur des zones assiégées, ni le huis clos
imposé par le régime ayant pris soin d'expulser les médias étrangers ne
parviennent à éteindre la voix des protestataires.
La Syrie «est confrontée à plusieurs problèmes, non seulement un
mouvement de contestation populaire pour la question des droits, mais
également des divisions religieuses, entre le Nord et le Sud, qui
ajoutent à la volatilité et à l'instabilité», indique Houchang
Hassan-Yari. «Le pouvoir a perdu énormément de son autorité, ce qui fait
en sorte qu'il est condamné à disparaître. Mais de quelle manière? Dans
combien de temps? On ne sait pas», ajoute-t-il.
Certains ont su résister au mouvement en faveur de réformes politiques
et sociales (Bahreïn), alors que d'autres ont su s'y adapter (Oman,
Maroc).
«En Syrie, l'Occident veut faire tomber le régime tandis qu'au Bahreïn
et au Yémen, l'Occident veut garder les régimes parce qu'ils le servent
bien», dit M. Antonius.
Et il y a l'Arabie saoudite, où «tout le monde tolère que la répression continue», fait remarquer M. Hassan-Yari.
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Les finalistes
Grèce, 15 juin. Des dizaines de milliers de Grecs
crient leur colère au visage des policiers qui bloquent l'accès au
Parlement, où de nouvelles mesures d'austérité sont votées.
Russie, 10 décembre. Vladimir Poutine jusqu'en 2050,
«c'est non!», scandent des manifestants une semaine après les élections
législatives entachées de fraudes qui ont permis à Russie unie de
l'emporter.
Chine, automne. Des milliers d'habitants du village de
Wukan défient les forces de l'ordre en dénonçant haut et fort des terres
collectives vendues à vil prix, la pollution, l'argent détourné et
l'autorité usurpée par des responsables du comité du parti.
Israël, 6 août. 300 000 Israéliens descendent dans la
rue pour dénoncer la vie chère. Il s'agit d'une mobilisation sociale
sans précédent pour ce pays de 7,6 millions d'habitants.
Colombie, 10 novembre. Des milliers d'étudiants
manifestent contre une réforme universitaire entraînant la privatisation
de l'enseignement supérieur, selon eux. Après un mois de grève, le
projet est abandonné.