vendredi 6 janvier 2012

La révolution de l'année:le printemps arabe






L'année 2011 a été celle des soulèvements dans le monde arabe. Des milliers de personnes ont envahi les rues pour exiger le départ du despote qui dirige leur pays.

Des centaines de milliers de personnes longtemps étouffées par la terreur se sont levées à l'occasion du printemps arabe pour réclamer le départ du despote à la tête de leur pays. Retour à la vitesse grand V sur la valse des révolutions du monde arabe.

Mohamed Bouazizi, un marchand de fruits et de légumes âgé de 26 ans de la ville tunisienne de Sidi Bouzid, s'immole par le feu le 17 décembre 2010 après la confiscation, pour une énième fois, de sa marchandise par les forces de l'ordre. À travers le pays, des dizaines de milliers de personnes exaspérées par l'injustice et l'arbitraire font éclater leur rage contre le régime répressif de Zine el-Abidine Ben Ali, à la tête de la Tunisie depuis plus de 23 ans. Dépassés, l'autocrate et sa femme, Leïla Trabelsi, prennent le 14 janvier 2011 la poudre d'escampette. C'est la «révolution du jasmin».

«La Tunisie jouit d'une certaine stabilité. Ce pays a fait des pas énormes à mon avis dans l'espace de quelques mois seulement et est doté aujourd'hui d'un gouvernement qui est jusqu'à un grand degré représentatif», souligne le professeur au Collège militaire royal de Kingston Houchang Hassan-Yari. «On peut parler de la Tunisie comme d'un cas tout à fait à part», ajoute-t-il.

La révolution tunisienne fait naître une vague de soulèvements populaires qui déferlera sur le monde arabe, abattant dans plusieurs endroits le «mur de la peur» dressé entre le dirigeant et la population. Des régimes tomberont, d'autres vacilleront.

Inspirés par les Tunisiens, les Égyptiens organisent leur premier «jour de colère» le 25 janvier 2011. «Nous sommes tous des Khaled Saïd», scandent-ils en brandissant des images d'un jeune homme apparemment battu à mort par les autorités six mois plus tôt à Alexandrie. Des centaines de milliers de personnes réclameront le départ du chef d'État, Hosni Moubarak, aux quatre coins du pays, dont sur la place Tahrir du Caire, qui est aujourd'hui le symbole de la «révolution du Nil». Le raïs multipliera les concessions. Rien n'y fait, le raïs n'est plus raïs. Dix-huit jours auront suffi à le faire tomber.

«L'élite politique et l'élite politique émergente confondues n'ont pas montré énormément de maturité politique. [...] Les militaires ne sont pas prêts à perdre leurs privilèges, tandis que les jeunes qui ont fait l'essentiel du réveil égyptien se trouvent marginalisés, maltraités», estime M. Hassan-Yari, alors que plusieurs craignent, une fois l'euphorie retombée, que la révolution du Nil ne soit qu'une autre révolution de palais.

Jusqu'à la mort

En Libye, drapé dans sa posture de «guide de la révolution jusqu'à la fin des temps», Mouammar Kadhafi n'essaie pas d'amadouer ses opposants, «des rats», par des promesses de réformes, contrairement à Ben Ali et à Moubarak. L'insurrection tourne au conflit armé. Mal équipés, désorganisés, les insurgés, reculant devant l'armée régulière, lancent un appel à l'aide. L'OTAN y répond. Elle bombarde les forces kadhafistes. Tripoli tombe le 23 août, mais Kadhafi reste introuvable. Le «guide» sera finalement capturé, exhibé, lynché, puis exhibé de nouveau, deux mois plus tard, dans sa ville natale, Syrte.

«Louis XIV disait: "L'État, c'est moi." Dans le cas de la Libye, l'État, c'était vraiment Kadhafi. Pas sa famille. Il y a aujourd'hui un grand besoin de créer des institutions, [bien que] la lutte pour le pouvoir ne se soit pas stabilisée encore», souligne Houchang Hassan-Yari.

Pour le professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) Rachad Antonius, la révolution libyenne «a profité surtout aux pays de l'OTAN et aux monarchies pétrolières avant de profiter aux Libyens». «Chacun de ces acteurs internationaux va s'assurer de récupérer le mouvement en sa faveur. Mais, pour pouvoir le faire, il faut que chacun ait des acteurs locaux dont les intérêts coïncident avec les siens», affirme-t-il.

La contestation au Yémen n'a pas attendu le printemps arabe, mais son souffle a enhardi les opposants à Ali Abdallah Saleh, à la tête du pays depuis 18 ans. Ils manifestent par milliers pour exiger son départ.

Dans le monde arabe, les révolutions ont-elles profité à ceux qui les ont faites? «Il est trop tôt pour le dire. Ce sont des processus à long terme qui vont produire des résultats dans peut-être cinq ou dix ans», rétorque M. Antonius, avant d'ajouter: «Je pense, à court terme, qu'elles ont profité surtout aux partis islamistes... à court terme.»

Nouveau rapport


Les révolutions du printemps arabe «remettent en question la façon même de faire de la politique», selon Rachad Antonius. «C'est un autre rapport entre les gouvernements et la société qui s'est négocié par ces révoltes, souligne le spécialiste du monde arabe. C'est un refus de l'autoritarisme. Les gens disent: "Quelles que soient vos raisons, quelle que soit la justification nationaliste de votre gouvernement autoritaire, on n'en veut plus".»

Pour Houchang Hassan-Yari, l'Iran a lancé la valse des révolutions du printemps arabe en 1979. «Les revendications étaient extrêmement similaires, c'est-à-dire la fin d'un régime politique répressif, ensuite l'ouverture de l'espace politique, plus de liberté, plus de participation populaire...»

Les révolutionnaires du printemps arabe doivent tirer les leçons de la suite des choses en Iran, fait-il valoir. «Dans tous les pays arabes du Moyen-Orient, la vaste majorité de la population est musulmane. Donc, il ne faut pas s'attendre à ce que cette majorité-là tourne le dos aux partis qui se présentent sous la bannière de l'islam et comme défenseurs de la charia, même si ça ne plaît pas aux intellectuels, aux fonctionnaires, aux technocrates, etc. La réalité est que, dans ces pays-là, il y a un très grand taux d'analphabétisme et, surtout, une très grande croyance dans la religion. [...] Les pays arabes se trouvent aujourd'hui où se trouvait l'Iran tout de suite après sa révolution islamique. Trente-deux ans plus tard, une majorité d'Iraniens serait en faveur d'une séparation de la religion et de l'État.»

La contestation couve

Le souffle du printemps arabe n'a pas tout emporté sur son passage. Quatre dirigeants ont été balayés. Poussés dans leurs derniers retranchements, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte, Kadhafi en Libye et Saleh au Yémen ont renoncé l'un après l'autre au pouvoir après l'avoir conservé jalousement, souvent avec l'appui des grandes puissances. Confronté à une contestation jamais vue depuis l'accession au pouvoir de son père, Hafez, en 1970, le président de la Syrie, Bachar al-Assad, reste pour sa part inflexible. Il tente par tous les moyens de mater la rébellion, mais ni les 5000 morts recensés par l'ONU, ni le pilonnage des chars d'assaut sur des zones assiégées, ni le huis clos imposé par le régime ayant pris soin d'expulser les médias étrangers ne parviennent à éteindre la voix des protestataires.

La Syrie «est confrontée à plusieurs problèmes, non seulement un mouvement de contestation populaire pour la question des droits, mais également des divisions religieuses, entre le Nord et le Sud, qui ajoutent à la volatilité et à l'instabilité», indique Houchang Hassan-Yari. «Le pouvoir a perdu énormément de son autorité, ce qui fait en sorte qu'il est condamné à disparaître. Mais de quelle manière? Dans combien de temps? On ne sait pas», ajoute-t-il.

Certains ont su résister au mouvement en faveur de réformes politiques et sociales (Bahreïn), alors que d'autres ont su s'y adapter (Oman, Maroc).

«En Syrie, l'Occident veut faire tomber le régime tandis qu'au Bahreïn et au Yémen, l'Occident veut garder les régimes parce qu'ils le servent bien», dit M. Antonius.

Et il y a l'Arabie saoudite, où «tout le monde tolère que la répression continue», fait remarquer M. Hassan-Yari.

***

Les finalistes

Grèce, 15 juin. Des dizaines de milliers de Grecs crient leur colère au visage des policiers qui bloquent l'accès au Parlement, où de nouvelles mesures d'austérité sont votées.

Russie, 10 décembre. Vladimir Poutine jusqu'en 2050, «c'est non!», scandent des manifestants une semaine après les élections législatives entachées de fraudes qui ont permis à Russie unie de l'emporter.

Chine, automne. Des milliers d'habitants du village de Wukan défient les forces de l'ordre en dénonçant haut et fort des terres collectives vendues à vil prix, la pollution, l'argent détourné et l'autorité usurpée par des responsables du comité du parti.

Israël, 6 août. 300 000 Israéliens descendent dans la rue pour dénoncer la vie chère. Il s'agit d'une mobilisation sociale sans précédent pour ce pays de 7,6 millions d'habitants.

Colombie, 10 novembre. Des milliers d'étudiants manifestent contre une réforme universitaire entraînant la privatisation de l'enseignement supérieur, selon eux. Après un mois de grève, le projet est abandonné.

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